LA THÉORIE DE LA DÉRIVE CONTINENTALE “AVANT LA LETTRE”

 Dr. Miguel de las Doblas. IGEO, CSIC-UCM, Ciudad Universitaria, 28040, Madrid. doblas@mncn.csic.es


La théorie révolutionnaire de la «Dérive Continentale» a été la base fondatrice de la principale hypothèse scientifique qui a bouleversé la Géologie du XXe siècle: la «Tectonique des Plaques», une idée mobiliste-horizontaliste qui a complétement changé la vision que nous avions de l’évolution de la Terre et a définitivement annulé le paradigme de la tectonique globale fixiste-verticaliste (Réf.1). La tectonique des plaques décrit le déplacement horizontal des plaques lithosphériques continentales et océaniques, dérivant au-dessus de l'asthénosphère fluide, fracturant ou réassemblant les supercontinents et provocant des collisions/subductions de plaques le long des systèmes orogéniques montagneux. Le mécanisme proposé par ce modèle global se base sur des phénomènes profonds de la lithosphère et du manteau terrestre tels que les courants de convection, les zones de subduction destructives et les dorsales océaniques constructives (Réf.2).

 L’idée révolutionnaire de la dérive continentale est attribuée au géographe A. Wegener au début du XXe siècle (Réf.3). En fait, c’est le premier qui a présenté des mappemondes exposant la dispersion progressive du supercontinent de la Pangée depuis le Carbonifère supérieur, aboutissant à la répartition erratique actuelle des masses continentales et océaniques.

 Cependant, la notion d’une possible dérive continentale semble beaucoup plus ancienne : la correspondance géométrique entre les côtes d'Afrique de l’Ouest et de l’Amérique du Sud était connue par la plupart des explorateurs de « l'Age des Découvertes » (Réf. 4). Dans son traité «Novanum Organum» de 1620, Sir Francis Bacon remarque que de telles similitudes continentales ne pouvaient guère être accidentelles, même si cet auteur faisait référence aux marges orientales des deux continents plutôt qu'à leurs bords atlantiques (réf. 4).

 La plupart des travaux initiaux décrivant les ressemblances entre les deux côtés de l'Atlantique Sud étaient fondées sur les croyances théologiques bibliques. En 1668, François Placet écrivit une chronique  suggérant que le L'Ancien et le Nouveau Monde se sont séparés après le Déluge (« La corruption du grand et petit monde, où il est montré que devant le déluge, l'Amérique n'était point séparé des autres parties du monde » ; Réf. 4). Un autre théologe, Theodor Lilienthal (1756), a également cherché des témoignages bibliques pour expliquer la séparation d'une seule masse terrestre initiale en différents continents. En 1800, le naturaliste Alexander von Humbold (l'explorateur pionnier du Mexique et des États-Unis) a suggéré que l'Atlantique représentait une immense vallée fluviale dont les bords avaient été séparés et érodés par un énorme volume d'eau sur lequel l'Arche de Noé avait navigué. (Réfs.4 et 5). La première observation des similitudes géologiques et géométriques des continents d’une part et d’autre de l'Atlantique a été faite par Antonio Snider-Pelligrini en 1858 dans son ouvrage «La Création et ses mystères dévoilés» : il a proposé que ce phénomène était lié à une rupture catastrophique des continents et que l’Amérique pourrait représenter l’ancien continent de l’Atlantide (Réf. 4 et 5). En tout cas, Snider-Pelligrini a été le premier à ébaucher une figure montrant les continents bordant l'Atlantique avant et après leur séparation (Réf. 4).

 Inexplicablement, Charles Darwin, lors de ses voyages épiques à travers le monde à bord du HMS Beagle (1831-1836), a trouvé des signes concluants de mouvements terrestres verticaux, mais n'a pas reconnu de mouvements horizontaux à grande échelle (Réf.4). En 1885, le géologue Edward Suess suggéra l'existence du supercontinent de Gondwana, assemblant tous les continents de l'hémisphère sud. Il n'a pas proposé que les continents avaient dérivé, mais plutôt qu'ils étaient reliés par des masses terrestres qui s'étaient affaissées pour former les océans Atlantique Sud et Indien (Réf. 6).

 Dans cet article, nous voulons souligner le fait que les premières œuvres «illustrées», non théologiques et scientifiques du Siècle des Lumières, suggérant la séparation de l'Atlantique Sud, proviennent de deux Français (Réf. 7, 8 & 9): le célèbre philosophe Denis Diderot (1772; Réf.7 & 9; Fig.1) et le moine bénédictin Dom Pernety (1769; Réf.8; Fig.2).

 En raison de son indiscutable autorité publique sur la philosophie Française du XVIIIe siècle, Voltaire est considéré l'exemple emblématique du Siècle des Lumières, tandis que Denis Diderot est resté en second plan. Pourtant, ces deux hommes sont les fondateurs  du mouvement philosophique Illustré qui s’est généralisé à partir de 1750, constituant la base morale indéniable de la révolution française de 1789.

 Dom Pernety (Antoine-Joseph Pernety) était un écrivain français, un bénédictin et le bibliothécaire de Frédéric le Grand de Prusse. Influencé par le mysticisme chrétien de Swedenborg, il fonda en 1760 la société secrète maçonnique /théosophique du «Rite Hermétique» ou «Illuminati» d'Avignon. Pernety a participé à l'expédition française de 1763-1764 sous Louis Antoine de Bougainville, qui a fondé la colonie de Port Saint Louis aux îles Malouines. Il s’agit de l’un des premiers voyages à vocation essentiellement scientifique, 68 ans avant les expéditions de Darwin.

 Les figures 1 et 2 mettent clairement en évidence les passages des textes de Diderot et de Dom Pernetty suggérant la séparation de certains fragments continentaux dans la zone étudiée lors du voyage de Bougainville.


 REFERENCES

 Refs.1

-Bemmelen, R. W. V., 1949. The Geology of Indonesia The Hague : Govt. Printing Office, 1949. 2 volumes

-Belousov V.V., 1964. The upper mantle and its influence on the development of the Earth's crust. JCSU Review of world science. Vol. 6. P. 72-77.

-Carey, S.W. 1988., Theories of the earth and universe: a history of dogma in the earth sciences (illustrated ed.), Stanford University Press, pp. 347–350.

Refs.2

-Krill, A., 2011. Fixists versus mobilists: http://folk.ntnu.no/krill/fixists.pdf

-https://www.geolsoc.org.uk/Plate-Tectonics/Chap1-Pioneers-of-Plate-Tectonics

Ref.3

-Wegener, Alfred (julio de 1912). «Die Entstehung der Kontinente». Geologische Rundschau (en alemán) 3 (4): 276-292.

Ref.4

-Tarling, D.H. and Tarling, M.P., 1977. Continental drift. A study of the Earth’s moving surface. Penguin Books, England, 154 pp.

 Ref.5

-Seyfert, C.K., and Sirkin, L.A., 1974. Earth history and Plate Tectonics. An introduction to historical geology. Harper & Frow Publishers, New York, 504 pp.

Ref.6

-Suess, E., 1885. Das Antlitz der Erde (The Face of the Earth), vol. 1 (Leipzig, (Germany): G. Freytag), 768 pp.

Ref.7

-Diderot, D., 1772. Supplément au voyage de Bougainville.  Éditions du groupe « Ebooks libres et gratuits. 63 pp.

Ref. 8

- Dom Pernety, 1769. The “Journal Historique d’un voyage fait aux Iles Malouïnes en 1763 & 1764, pour les reconnoître, & y former un établiffement; ET de deux Voyages au Détroit de Magellan, avec une Rélation fur les Patagons. Tome I (403 pp.) & Tome II (374 pp.).

Ref. 9

-Diderot, D., 1972. Le neveu de Rameau et autres dialogues philosophiques. Éditions Gallimard, 438 pp.

 





FIGURE 1











FIGURE 2






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